2,5 millions. C’est le nombre de salariés français actuellement en burn out sévère (1). A l’occasion de la sortie de son nouveau livre Prévenir et soigner le burn-out pour les Nuls (First), Marie Pezé, docteure en psychologie, nous explique comment le prévenir et s’en remettre. Elle insiste notamment sur la souffrance née du sentiment de mal faire son job quand les conditions et l’organisation du travail nous en empêchent…
Véritable pionnière, Marie Pezé a créé la première consultation “Souffrance et travail ” en 1997 au Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers de Nanterre. Il en existe désormais plus de 150 en France. Elle est par ailleurs responsable pédagogique du certificat de spécialisation en psychopathologie du travail qu’a lancé Christophe Dejours en 2008 au CNAM et experte auprès de la Cour d’Appel de Versailles.
Comment définir le burn out ?
Marie Pezé. Le burn-out est encore trop souvent vécu comme un drame de l’insuffisance individuelle, alors qu’il relève d’une pathologie sociale et organisationnelle. Une frénésie s’est emparée de notre époque, et donc aussi du monde du travail. Le burn-out n’est pas une maladie mais un syndrome d’adaptation. C’est une pente glissante sur laquelle vous vous engagez par conscience professionnelle et par souci de bien faire votre travail. Peu à peu vous vous y enfoncerez sans le savoir. Vous tenterez de tenir coûte que coûte jusqu’à ce que votre corps dise non, car votre mental, lui, tente l’impossible. A noter que le burn out de 2022 n’a rien à voir avec celui des années 80 : c’est aujourd’hui un syndrome d’effondrement et non plus d’épuisement, avec désormais une usure prématurée de l’organisme. Au gré de l’évolution de l’organisation du travail, le burn out, son tableau clinique et ses symptômes ont eux aussi évolué, avec des AVC ou encore des infarctus.
Comment distinguer un burn out d’une dépression ?
M.P. A la différence de la dépression, au bout de quelques semaines ou mois, les personnes ayant fait un burn out vont retrouver goût à d’autres activités que le travail. Ils vont sortir, pouvoir recommencer des activités sportives ou culturelles. C’est l’idée de reprendre le travail qui les tétanise. Chez les personnes en dépression, l’élan vital est coupé dans tous les domaines de la vie, pas seulement dans le travail.
Quelles sont aujourd’hui les causes du burn out ?
M.P. On a longtemps réduit le burn out à l’épuisement de personnes surinvesties dans leur travail. Les spécialistes s’accordent maintenant sur le fait qu’il prend sa source dans l’environnement de travail et qu’il est le résultat d’une interaction, d’une rencontre entre des facteurs organisationnels et des facteurs individuels. Aujourd’hui, le terreau du burn out, c’est aussi et surtout la souffrance éthique : le fait de ne pas pouvoir faire son travail correctement, comme on le voudrait. Changement permanent, culture du chiffre et de l’urgence, intensification du travail, conflits éthiques, présentéisme persistant… L’incapacité de bien faire son travail se retrouve notamment dans les professions médicales, dans l’enseignement, chez les magistrats ou encore les auxiliaires de vie. Ce sont des professionnels qui n’ont pas assez de reconnaissance au travail, mais pas qui ne ressentent plus également de fierté à exercer leur métier car ils ne s’y retrouvent plus.
A quels signaux prêter attention ?
M.P. Il faut réhabiliter la fatigue comme symptôme protecteur ! Considérez la fatigue comme un baromètre de votre état de santé. Quand le repos ne suffit plus à se reposer, c’est un signal majeur et très défavorable. Attention, dans notre société, c’est la fatigue dite nerveuse qui a peu à peu remplacé la fatigue musculaire. Il ne faut pas attendre de ne plus réussir à se lever un matin ou d’avoir des pensées suicidaires pour agir. Je conseille de faire attention à trois symptômes précoces : la fatigue donc, le fait de ne plus avoir envie de faire un métier que l’on adorait et de ne plus prendre de plaisir à travailler (alors que quand on va au travail la boule au ventre il s’agit souvent davantage d’harcèlement que de burn out), et enfin la consommation de produits qui permettent de tenir (cela va de substances naturelles aux boissons énergisantes, à l’alcool en passant par les drogues).
Mais beaucoup de personnes sont souvent dans le déni avant de s’écrouler…
M.P. Oui, tout à fait. Quand on a la tête dans le guidon, on arrive tout simplement plus à réfléchir et à prendre du recul. Il est utile de passer le test de propagation du burn out : c’est un question d’auto-évaluation de l’épuisement professionnel. Certains veulent tenir à tout prix pour ne pas perdre leur emploi, d’autres ne se rendent pas compte dans quel état ils sont. Mais n’attendez pas le pépin de santé ou le pétage de plomb pour réagir.
Vous consacrez un chapitre aux femmes dans votre livre, pourquoi ?
M.P. Tout simplement parce que le travail est encore un milieu avec une organisation masculine, très virile, et qu’on est, en France, le pays où les femmes travaillent le plus. Les femmes sont usées par ce rythme infernal avec des impacts parfois irréversibles sur leur santé. Pendant le premier confinement, les infarctus du myocarde ont ainsi augmenté de 45% chez les femmes ! Plus généralement, il existe bel et bien des risques spécifiques pour la santé des femmes, liés à l’organisation du travail. Parmi eux on peut, entre autres, citer : plus de troubles anxieux et dépressifs, car leurs postes sont souvent moins qualifiés et leur travail moins reconnu (enquête Sumer) ou encore l’invisibilité complète de la double journée des femmes, une double peine psychologique avec une charge mentale trop élevée et des effets somatiques graves.
Quels sont vos conseils pour les personnes actuellement en burn out ?
M.P. Je leur recommande de se faire prendre en charge par une équipe spécialisée. Bien s’entourer est essentiel pour savoir si la reprise est possible ou pas, pour se faire conseiller juridiquement, négocier son départ si besoin, réaliser un bilan de compétences pendant son arrêt… Je tiens à saluer les médecins conseil qui jouent un rôle clé. Il y a aussi un vrai travail à réaliser pour déconstruire ce qu’il s’est passé, arrêter de culpabiliser en pensant qu’on n’a pas été à la hauteur. Il y a un travail à faire sur le travail avant justement d’y retourner. Mal géré, un burn out laisse des séquelles.
Comment aborder un collaborateur ou un collègue victime de burn-out (ou qui en prend le chemin) ?
M.P. Face à un salarié manifestant des signes de difficultés (stress, pleurs, agressivité…), il est important de tout faire pour aménager une rencontre, un moment d’échange privilégié.
Pour cela, il faut choisir un endroit adapté, qu’il soit formel ou informel. Il faut veiller à ce que l’endroit permette la discrétion. Par sa disponibilité, l’écoutant accuse en quelque sorte déjà réception de la situation. Le salarié se sent reconnu, écouté et non fondu dans la masse. Cette écoute est un signe que l’organisation n’abandonne pas le salarié en difficulté. Il va falloir l’amener à se confier alors qu’il se sent probablement coupable de ne « pas y arriver ». Il va donc nier les faits : « Mais non, je ne suis pas débordé. » Prenez le temps de décrire minutieusement les changements que vous avez constatés dans son comportement, non pas pour pointer qu’il n’est plus aussi bon qu’avant, mais que cela ne lui ressemble pas et que vous vous faites du souci pour lui. Posez-lui des questions précises : Pourquoi reste-t-il plus tard ? Se sent-il ralenti et moins efficace ? Se sent-il débordé ? A-t-il peur d’en parler parce qu’il craint pour son job ? Vous sortez ainsi la personne de sa solitude réelle ou ressentie.
Un guide pratique pour prévenir et soigner le burn out
Destiné à la fois aux victimes, aux accompagnants, aux médecins et aux acteurs du monde de l’entreprise, ce livre de Marie Pezé est un guide incontournable qui analyse les causes du burn-out et les moyens de le surmonter. Il présente les différentes ressources (médicales, psychologiques, administratives et légales) à votre disposition.
Les nombreux témoignages proposés montrent comment le burn-out survient et s’aggrave dans les situations les plus diverses, qu’il est multifactoriel et peut tous nous toucher.
Connaissez-vous votre risque au burnout ou au boreout ? Faites donc les tests réalisés par l’équipe de recherche de Moodwork : https://moodwork.com/fr/nos-ressources/nos-tests-gratuits
(1) Selon la 9ème vague du Baromètre « Impact de la crise sanitaire sur la santé psychologique des salariés » OpinionWay pour Empreinte Humaine réalisée en ligne en février 2022.
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