Originaire de la Silicon Valley, le très médiatique métier de Chief Happiness Officer  est en plein essor en France. Comment endosser ce rôle pour définir et déployer une stratégie d’amélioration du bonheur au travail ? Par quels moyens nourrir le sentiment d’appartenance des salariés à leur organisation ? Autant de questions auxquelles répond avec clarté “La boîte à outils du Chief Happiness Officer”, le premier livre français entièrement dédié à ce poste (1). Interview d’Amélie Motte, l’une de ses auteurs.

Comment définissez-vous le métier de Chief Happiness Officer (CHO) ?
AM. L’objectif du CHO est de travailler sur les processus et les conditions qui contribuent à l’épanouissement des hommes et des femmes au travail. Sur le terrain, on constate que c’est une fonction hybride qui se déploie autour de quatre grandes orientations majeures : la convivialité, la communication, les RH et l’organisation.

Pourquoi suscite-t-il un tel engouement aujourd’hui ?
AM. C’est la figure emblématique qui cristallise le changement de paradigme en cours, amenant aujourd’hui de plus en plus d’organisations à ne plus seulement adopter une posture défensive centrée sur la prévention des risques psychosociaux, mais à avoir une posture positive visant l’épanouissement des femmes et des hommes au travail. Cela répond à une attente, voire une exigence de plus en plus pressante des collaborateurs, en particulier des jeunes générations, qui aspirent plus à s’épanouir au travail qu’à gagner de l’argent ou gravir les échelons ; et à un besoin des organisations qui cherchent de nouveaux leviers pour attirer et fidéliser les talents.

On a tout de même l’impression qu’il y a beaucoup de personnes qui souhaiteraient occuper ce poste, mais en réalité très peu d’annonces… 
AM. Oui, il y a toujours peu d’annonces. Joblift en dénombrait ainsi 50 en 2017. Mais on remarque tout de même que le métier de CHO se professionnalise et se distincte de plus en plus de la fonction d’office manager. Les profils RH et communication gagnent du terrain. Ensuite, ce sont souvent des salariés déjà dans l’entreprise qui endossent ce rôle. Ils ont une appétence pour le bonheur au travail et parviennent à créer le poste en interne. Sur LinkedIn, un peu plus de 200 personnes disaient occuper ce poste, en  interne ou en externe, en mars 2018.

Que répondez-vous au happybashing ?
AM. Je pense surtout que le mot bonheur fait encore peur dans un contexte professionnel. C’est un mot fort, certes, mais ce n’est pas du tout une injonction ! C’est un mot que je trouve inspirant, il donne un cap, une ambition. J’entends ici et là que le bonheur est quelque chose d’intime, de personnel, qu’il n’aurait pas sa place au travail. Mais s’intéresser au bonheur ce n’est pas être nombriliste, les autres sont une des clés du bonheur au travail. Ensuite, certains affirment qu’au lieu de parler de bonheur au travail, on ferait mieux de s’intéresser au management, au sens du travail, à la reconnaissance… Mais tout cela fait partie intégrante du bonheur au travail !

Comment définissez-vous justement le bonheur au travail ?
Je me base sur la définition de l’OCDE. Il y a trois facettes :
– Une dimension émotionnelle : c’est avoir plus d’affects positifs que négatifs.
– Une dimension cognitive : c’est la satisfaction que me procure mon travail, mes conditions de travail, ma rémunération…
– Une dimension aspirationnelle : c’est le sens que je donne à mon travail, le sentiment que j’ai de contribuer à un projet plus grand.
Ces trois dimensions ne peuvent pas être toutes pleines à 100%. En revanche, ce qui peut être dangereux, c’est d’avoir un fort déséquilibre entre les trois. Sur la durée, cela ne tient pas.

Qu’est-ce qu’un bon CHO pour vous ?
AM. C’est quelqu’un qui a envie d’agir, qui a la conviction que l’on peut remettre l’humain au centre de l’entreprise. C’est quelqu’un qui a confiance dans les autres, et qui inspire aussi confiance. C’est ensuite un facilitateur, il co-construit le projet avec ses collègues. Enfin, il est curieux, il a soif d’apprendre.

Vous recommandez dans votre livre de faire tout d’abord un baromètre pour mesurer le bonheur au travail avant de déployer une stratégie, pourquoi ?
AM. C’est une étape utile, surtout dans les grandes entreprises. Cela permet de connaître les besoins, les domaines où il faudra agir en priorité. Mais ce n’est pas une étape obligatoire, par exemple au sein de petites structures.  La mise en place d’un baromètre est une phase de diagnostic pouvant être réalisée soit avec un outil de mesure existant, soit en élaborant un outil sur-mesure en interne. Le choix de l’outil est essentiel et conditionne les analyses et les plans d’action qui en résulteront. Il s’agit de mesurer le bien-être au travail global, les déterminants spécifiques du bien-être et le contexte organisationnel et individuel.

Votre livre donne une soixantaine d’outils pour favoriser le bonheur au travail. Pouvez-vous nous en donner un pour…
Favoriser un climat serein ? La météo intérieure. C’est un tour de parole au cours duquel chacun exprime son état émotionnel du moment. Il peut servir de rituel pour démarrer une réunion. Il s’agit de prendre le temps de ressentir ce qui se passe en nous : quelle émotion est présente en moi ? Quelle est mon humeur du jour ? Le simple fait de prendre conscience de ses émotions, de mettre un mot dessus, permet de les apaiser. Le fait de les partager avec les autres est une façon efficace de se mettre en lien. C’est facile à mettre en oeuvre, même si au départ cela peut surprendre ou sembler bizarre, cela marche vraiment !
Favoriser la reconnaissance ? Parfois un bravo spontané ne suffit pas et une réunion de félicitations s’avère nécessaire pour reconnaître la contribution du collaborateur. Dans le
cadre du management bienveillant, le manager définit un temps pour exprimer sa satisfaction envers un collaborateur en entretien individuel ou réunion collective. Cette attitude positive nourrit l’engagement et la motivation, accroît la confiance en soi et l’énergie nécessaire à la continuité de la bonne performance.
Favoriser le coopératif ? Le mentorat, ou le mentorat inversé. Le mentorat désigne une relation interpersonnelle de soutien, d’aide, d’échanges et d’apprentissage, dans laquelle une personne d’expérience, le mentor, offre sa sagesse acquise et son expertise dans le but de favoriser le développement d’une autre personne, le mentoré, qui a des compétences ou des connaissances à acquérir et des objectifs professionnels à atteindre. Le mentorat augmente la satisfaction au travail, favorise le sentiment d’appartenance, accélère l’acquisition de nouvelles compétences et améliore la communication en le travail en équipe. C’est également un bon moyen de créer du lien entre générations.

Comment voyez-vous le poste de CHO dans 5 ou 10 ans ?
AM. J’ai la conviction que c’est un métier qui va se déployer de plus en plus. Il ne portera peut-être plus le même nom, mais il va prendre de l’ampleur. On peut faire un parallèle avec le digital dans les années 90. C’était un poste confié aux directeurs informatiques avant que cela ne devienne une fonction transversale. Et dans 30 ans, il n’y aura plus de CHO car chacun sera ambassadeur du bonheur au travail. C’est mon côté optimiste qui parle !

(1) La boîte à outils du Chief Happiness Officer, Dunod, septembre 2018. Découvrez 66 outils indispensables pour favoriser l’épanouissement au travail et transformer durablement votre organisation. Chaque outil est traité de façon structurée sur 2 ou 4 pages et enrichi de visuels de synthèse, d’objectifs et de conseils  méthodologiques. Des exercices et des cas d’entreprise sont proposés pour une meilleure appropriation des outils. Cet ouvrage comprend également 8 vidéos qui donnent les clés du succès de la fonction de Chief Happiness Officer (CHO) et permettent d’explorer de façon plus approfondie certains concepts ou pratiques.

Les trois auteurs, Amélie Motte, Sylvain Boutet et Saphia Larabi, sont membres de la Fabrique Spinoza. Amélie Motte et Sylvain Boutet anime également des formations au sein de l’Académie Spinoza, notamment sur les fondamentaux du bonheur au travail.

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A lire aussi, les témoignages de trois Chief Happiness Officers :
– Dico du bien-être au travail : C comme Chief Happiness Officer (vol.1)
– Florelle Moire : « Je suis Chief Happiness Officer, et très fière de l’être ! »
– Nathalie Forestier d’Allo Resto : « Le Chief Happiness Officer crée du liant entre les services, c’est un facilitateur »

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Diplômée de Sciences-Po Paris, Fabienne Broucaret a fondé My Happy Job en 2016. Elle en a été la rédactrice en chef jusque fin 2022. Conférencière et journaliste, elle a écrit "Mon Cahier Happy at Work" (Solar) et "Télétravail" (Vuibert). Elle a aussi co-écrit “2h chrono pour déconnecter (et se retrouver)” avec Virginie Boutin (Dunod). Passionnée par les questions de mixité, elle est enfin l’auteure des livres "Le sport, dernier bastion du sexisme ?" et "A vos baskets toutes ! Tour de France du sport au féminin" (Michalon).

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