Le sujet, pourtant universel, est encore tabou en 2023. Qui n’a en effet jamais connu une période de grande fatigue professionnelle ? Qui n’a jamais tiré la langue face à la charge de travail, aux deadlines des livrables, aux agendas saturés de réunions, etc. ?
Toutes les parties prenantes de l’entreprise sont concernées par la fatigue professionnelle : collaborateurs, managers, RH, dirigeants, etc. Pour autant, rares sont celles et ceux osant en parler en interne et s’adresser aux managers ou RH pour trouver ensemble des solutions.
Entre la crainte de passer pour faible, la honte de ne plus parvenir à “suivre le rythme” et la peur d’un retour de manivelle, l’omerta règne parfois dans des départements ou services surchargés de travail et qui auraient grand besoin d’apprivoiser le thème de la fatigue professionnelle. La culture de la performance et de l’immédiateté y sont évidemment pour beaucoup. Tout comme celle de l’agilité : soyez agile, adaptez-vous à toutes les situations, même les plus tendues et énergivores…
Résultat : certains collaborateurs “tombent” sans que les managers n’aient pu intervenir, ou même voir. Quel dommage quand on sait que cela pourrait être évité par une parole plus libérée et la bonne connaissance, par les managers, des signaux faibles. Cela éviterait l’épuisement de bien des collaborateurs et la culpabilité destructrice que peut ressentir un manager lorsqu’un membre de son équipe se retrouve en souffrance et en arrêt maladie, souvent de longue durée lorsqu’il s’agit d’un burn-out.
Des managers impuissants
N’oublions pas que les managers sont les premiers acteurs des RPS sur le terrain : au contact des équipes, ils peuvent repérer un salarié en souffrance et lancer l’alerte. Mais encore faut-il qu’ils sachent ce qu’est un épuisement, quelles en sont les causes, les symptômes et les effets. “Un de mes collaborateurs a été très mal l’année dernière. J’ai communiqué avec lui autant que je pouvais mais sincèrement, je n’étais pas armé. D’autant que je traversais moi aussi une période de grande fatigue. Il serait bon que l’on soit formé au sujet. On est bien formé sur la question du harcèlement, mais sur l’épuisement, c’est lacunaire dans ma boîte” indique Anne, manager dans le secteur bancaire.
Les managers peuvent ne pas voir. Ils peuvent se sentir impuissants face au mal-être d’un collaborateur. Ils peuvent être involontairement maladroits et accélérer le processus de surchauffe des équipes. Ils peuvent ne pas être à l’aise avec ce sujet, dont la dimension psychologique est importante. Et ce n’est évidemment pas de leur faute : ce n’est pas leur coeur de métier et ils ont eux-aussi bien souvent “la tête dans le guidon”.
Comment les aider ? Comment leur donner les moyens de détecter les maux de leurs collaborateurs lorsque ces derniers s’auto-censurent et n’osent pas parler ?
Comme pour bon nombre de sujets, cela passe tout d’abord par la connaissance, l’information, la pédagogie et la sensibilisation.
Permettre aux managers :
- de savoir ce qu’est réellement un épuisement professionnel (l’acception étant souvent employée à tort et à travers),
- de comprendre le mécanisme de glissement,
- de mesurer ses impacts et ses dommages collatéraux
… est la première des choses à mettre en place en interne.
La détection des signaux faibles passe en effet par la compréhension de l’ensemble du syndrome d’épuisement professionnel. Ils ont besoin de comprendre pour percevoir la souffrance de leurs collaborateurs et éviter, in fine, les défaillances dans leurs équipes.
Un besoin de connaissance
Les managers ont grandement besoin d’être (in)formés. Or, la majorité d’entre eux estime ne pas l’être suffisamment. Une étude de Cadremploi publiée en juin 2019 révèle en effet que 87% des managers considèrent être mal accompagnés par l’entreprise pour faire face au burn-out d’un membre de leur équipe. C’est d’ailleurs ce que nous disent les managers au quotidien : “Je n’ai pas vu que Patricia coulait. Si j’avais été formé sur le sujet, j’aurais peut-être vu. N’ayant en plus jamais vécu d’épuisement, je n’en connaissais ni les tenants ni les aboutissants“. Ce sont les mots de Luc, manager dans le secteur de l’agro-alimentaire, avant d’ajouter : “Nous ne sommes pas formés à cette dimension dans nos études de management. L’entreprise ne nous a pas non plus alerté sur les signaux faibles. Nous avons pourtant besoin de comprendre, pas que pour nos collaborateurs d’ailleurs mais aussi pour nous ! Depuis le Covid, nous sommes fatigués. Et nous ne savons pas toujours quoi faire, à part faire appel à notre bon sens ou parler avec d’autres managers.” Luc a raison : les derniers chiffres recensés montrent que les managers sont 1,5 fois plus touchés par le burn-out depuis la crise sanitaire. Ils ont donc besoin, pour eux comme pour les membres de leurs équipes, de connaître les signaux d’alerte. Pour pouvoir ensuite les repérer sur le terrain ou à distance lorsqu’ils sont loin de leur équipe.
Cette première démarche est salutaire mais incomplète : une fois les signaux faibles repérés, les managers doivent avoir des outils pour gérer concrètement ces situations, aussi bien à titre préventif que curatif. Comment écouter le collaborateur épuisé ? Comment susciter la prise de conscience ? Quels mots employer ? Quels sont ceux à éviter ? Comment soutenir sans être intrusif ? Comment orienter au mieux ? Auprès de qui tirer la sonnette d’alarme pour les cas les plus préoccupants ? Comment créer du lien avec la médecine du travail, les RH, les assistants sociaux, etc. ? Comment accompagner au mieux la reprise et la réintégration du collaborateur après un arrêt de longue durée pour épuisement ? Comment prendre en compte les éventuelles séquelles du collaborateur ? Beaucoup sont démunis face à ces questionnements pourtant essentiels.
Faire de l’épuisement professionnel un pilier de la politique RPS de l’entreprise est fondamental aujourd’hui, surtout lorsque l’on sait que 44% des salariés se disent en détresse psychologique et que 2 millions sont en burn-out sévère. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le surmenage professionnel devient l’affaire de tous dans les organisations, qu’elles soient publiques ou privées. Sensibiliser les managers, les former puis leur donner les moyens d’agir est une urgence.
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