Le statut d’ « entreprise à mission » engage les entreprises, bien plus que leur démarche RSE. Un atout pour séduire de nouveaux salariés et les fidéliser. Mais aussi pour défendre sa marque employeur, afficher ses projets pour les années futures et ainsi répondre aux besoins de sens des collaborateurs.

Une entreprise à mission, c’est quoi exactement ?

« L’entreprise ne peut pas se limiter à un partage de profit ; elle a un autre rôle », défend d’emblée Emery Jacquillat. Le PDG du fabricant de meuble Camif, installé à Niort, a fait partie des premiers défenseurs du statut d’entreprise à mission, créé par la loi Pacte en 2019. Deux articles du Code civil ont été modifiés* afin d’inscrire l’intérêt social de l’entreprise dans ses statuts.

Une vraie démarche

L’ « entreprise à mission » n’est ni un label (comme Lucie) ni une raison sociale (comme les coopératives). Elle est une démarche accessible à tous les types d’entreprise, qui doit être pensée, en amont de l’obtention même de cette qualité. Devenir entreprise à mission suppose en effet de s’être choisi une « raison d’être » inscrite dans ses statuts, qui prend en compte l’avis de toutes les parties prenantes de l’entreprise : fournisseurs, clients, collaborateurs… Elle est liée à l’histoire de l’entreprise, à sa culture, à ses objectifs et à sa vision de ce à quoi elle souhaite contribuer dans le futur. Elle doit avoir un impact.

Des exemples d’entreprises à mission

Pour la Camif, la raison d’être d’une société à mission a été définie comme telle : « Proposer des produits et services pour la maison au bénéfice de l’Homme et de la planète. Mobiliser notre écosystème (consommateurs, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires, acteurs du territoire), collaborer et agir pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation. » Pour Yves Rocher, une des « grosses » sociétés à mission (avec Danone et la Banque postale) la raison d’être est de « reconnecter les gens à la nature » pour le bien-être de ses clients, mais aussi celui de la planète. Développement durable, impact social… Les objectifs peuvent être variés mais se doivent d’être inscrits dans la mission de ces sociétés.

« Pourquoi on existe et à quoi on sert ? »

Pourquoi ces entreprises choisissent-elles de se doter d’une telle ligne de conduite ? « Aujourd’hui il y a une prise de conscience globale de la part des citoyens, des consommateurs, des collaborateurs, des chefs d’entreprises… sur les enjeux du dérèglement climatique, des inégalités sociales, de la crise liée à nos modes de vie, d’organisation, de production, de modèles d’entreprise, croit savoir Emery Jacquillat, qui lui-même réfléchit autrement depuis son burn-out. A force de tirer sur la corde du profit, on a cassé quelque chose. »

D’où l’idée d’une entreprise avec un « objet social étendu ». Avec des questions cruciales: « Pourquoi on existe et à quoi on sert ? Quelle est notre place dans le monde ? », résume-t-il. Une de ses premières actions a été de boycotter le black friday, jour roi de la consommation à outrance. Il a aussi revu progressivement, avec ses équipes, les 20 000 références du catalogue Camif pour mieux choisir les matériaux vendus, faire avec moins, de manière plus responsable… Depuis l’an dernier l’enseigne propose ainsi un matelas fabriqué à partir de matelas recyclés à Niort.

Etat des lieux en France

Depuis le décret de loi paru en 2020, plus de 720 sociétés ont choisi de passer le pas et de devenir « entreprise à mission » en France, selon les chiffres de la Communauté des entreprises à mission, association d’intérêt général fondée en 2018 dont Emery Jacquillat est le président. La majorité d’entre elles sont des PME (85% comptent moins de 50 salariés). Beaucoup avaient déjà travaillé à leur responsabilité sociétale d’entreprise (RSE).

Cette nouvelle qualité les engage. « Elle est conditionnée au fait d’avoir d’une part une raison d’être et un objet social et/ou environnemental dans ses statuts, ainsi qu’un comité de mission, composé d’au moins un salarié », expose Emery Jacquillat. Elle implique aussi et surtout de se soumettre tous les 2/3 ans au contrôle d’un organisme tiers indépendant. Les premiers audits auront lieu dès cette année, et surtout en 2023, 3 ans après le décret de loi. Ils permettront de suivre si les entreprises qui se sont engagées dans cette voie ont respecté leur parole et ont bien poursuivi les objectifs qu’elles se sont fixés.

Devenir une entreprise à mission, quelles conséquences ?

Martin Richer, fondateur du cabinet Management & RSE a conseillé des groupes parlementaires sur le sujet dès l’élaboration de la Loi Pacte. Il accompagne désormais des dirigeants dans cette idée. Pour lui l’avantage de l’entreprise à mission est justement « qu’elle permet de structurer sa démarche » même s’il manque un référentiel, sur le modèle du label Lucie dont il est un fervent défenseur. « Ce n’est pas la procédure qui importe mais la démarche et l’authenticité », insiste-il.

Un atout pour la marque employeur, la réputation et l’attractivité

« Le problème de l’entreprise à mission est que le contrôle intervient après l’obtention de la qualité : c’est comme si on donnait le Bac à l’entrée en Terminale », regrette-il. Pour lui, la démarche sera donc valable après le premier audit de vérification. Même s’il reconnaît qu’il fallait choisir entre l’attractivité de la mesure et son exigence, afin que les entreprises osent sauter le pas. Il note tout de même d’énormes avantages en terme « de marque employeur, de réputation, d’attractivité ». « C’est vraiment un atout pour attirer la génération des Millenials en quête de valeurs, défend-il. C’est aussi un bon outil d’implication des salariés, notamment par le comité de mission. »

Des engagements exigeants sur le long terme

Le hic ? « On ne connait pas encore les implications juridiques de tout ça », met-il en garde. Des promesses de raison d’être non tenues pourront-elle un jour engager la responsabilité pénale de l’entreprise ou de son dirigeant si un consommateur, un salarié, ou un actionnaire l’assigne en justice pour tromperie ou publicité mensongère ? « Imaginez si Orpéa avait inscrit dans une raison d’être le respect de ses résidents… », cite-il en exemple. Je recommande de bien réfléchir à sa raison d’être avant de s’engager dans la société à mission. » L’aspect juridique du modèle reste encore flou.

C’est peut-être ce qui prend du temps. Les parlementaires avaient envisagé le passage de 10 000 sociétés en entreprises à mission dans les deux ans. Le compte n’y est pas, loin de là. Mais « le Covid a joué un rôle positif, en faisant se poser des questions sur l’avenir à l’ensemble de la société, réagit Martin Richer. L’entreprise à mission n’est pas adaptée pour des entreprises qui ont des actionnaires axés sur des bénéfices rapides. » La philosophie de cette nouvelle forme d’économie doit être pensée dans le long terme. « Cela permet de réduire les angles morts de la RSE : l’entreprise à mission redonne du sens et offre un cadre qui incite au progrès grâce au comité interne et au contrôle indépendant », résume Emery Jacquillat.

*Les deux articles de la loi Pacte :

  • Article 1833 du code civil : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »
  • Article 1835 du code civil : « Les statuts d’une entreprise, quelle que soit la forme de celle-ci, pourront définir une raison d’être constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. »

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Titulaire d’un master de journaliste au Celsa (Paris), Lucie Tanneau est journaliste indépendante, sillonnant la France, et plus particulièrement l’Est de la France au gré des thèmes de ses articles. Elle collabore à de nombreux titres, de Liaisons sociales magazine, La Vie, et Okapi, en passant par Grand Est, l’Est éclair, Village, et Foot d’Elles.

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