Plusieurs grandes entreprises françaises ont ciblé et formé des « bienveilleurs », sortes de super-collègues à l’écoute des autres pour prévenir les risques psychosociaux. Leur rôle : identifier et écouter des collaborateurs présentant des signes de mal-être et les orienter, pour qu’ils se fassent aider.
Qu’on les appelle « personnes de confiance » en Belgique, « référents RPS » chez Alstom, « sentinelles » à la MSA ou « bienveilleurs » chez Casino, ils sont les anges gardiens de leurs collègues en entreprise. Le Groupe La Poste a déployé ce dispositif au sein de son centre financier de Lyon, puis l’a développé dans son centre du courrier de Paris 8 et dans ses services administratifs de Bordeaux et Toulouse. A Lyon, onze bienveilleurs ont été nommés (après un appel à candidatures et une sélection de « personnes altruistes » par les managers) pour « identifier les collègues qui ne vont pas bien », « savoir les entendre » et « les accompagner vers les personnes qui pourraient les aider », commente Isabelle Andlauer, médiatrice à la direction de la Médiation de La Poste.
Bernadette Guillot est l’une des ces collègues-ressources. Conseillère en évolution professionnelle à la direction des ressources humaines, elle a tout de suite été emballée par le projet. « Tous mes collègues m’ont dit : “c’est pour toi !” et ce rôle me donne un sentiment d’utilité », reconnaît la presque soixantenaire. Depuis un an, avec ses collègues bienveilleurs, elle est donc disponible pour être l’oreille attentive. Le matin sur le parking, entre deux portes, ou au gré d’une discussion de couloir, elle sait leur dire « je ne te sens pas très bien, veux-tu m’en parler ? » ou « je trouve que tu t’éloignes en ce moment, quelque chose ne va pas ? » Parfois c’est elle qui engage la conversation, parfois ce sont les collègues qui viennent à elle. Les bienveilleurs ont en effet été identifiés par la direction de la communication qui a présenté le dispositif et édité des flyers avec les profils et coordonnées des personnes.
Tous ont été formés par le docteur Philippe Rodet, l’un des défenseurs de cette approche en France. « Nous avons suivi des sessions sur la détection des signes de stress ou de mal-être, savoir se protéger soi-même, et sur l’écoute active », détaille Bernadette Guillot. « Le docteur Rodet propose aussi aux bienveilleurs des créneaux sur lesquels ils peuvent l’appeler pour partager avec lui les situations vécues et avoir un avis médical », complète Isabelle Andlauer.
Orienter les collègues vers quelqu’un qui pourra les aider
Car le rôle des personnes de confiance n’est pas de résoudre les problèmes. « Le bienveilleur n’est pas là pour qualifier la situation ni la résoudre, son rôle est de recueillir l’information, et de renvoyer le collègue vers une autre personne qui pourra l’aider », précise Pascal Gallois, qui accompagne, via son cabinet Pactes Conseil, des entreprises à mettre en place le dispositif. RH, médecin du travail en interne ou en externe, médecin généraliste, assistante sociale… « C’est quelqu’un vers qui on se tourne plus facilement que vers son manager ou DRH, une personne en plus dans l’organisation pour la prévention des risques psychosociaux », poursuit le consultant qui défend l’importance de leur formation, comme celle des sauveteurs-secouriste du travail. Car les bienveilleurs peuvent entendre des situations de stress, de discrimination ou de harcèlement, de risque de burn-out, de mal-être qui peuvent conduire vers de la dépression lourde. « Ce sont des personnes qui doivent savoir garder leur sang-froid, et avoir une capacité de discernement pour ne pas se laisser entraîner par les émotions », complète Pascal Gallois.
Des bienveilleurs aussi efficaces en télétravail
Bernadette Guillot, la bienveilleuse de la Poste confirme. « On partage beaucoup entre bienveilleurs car parfois on se trouve un peu démuni, et on a des situations similaires d’un service à l’autre donc cela fait du bien d’échanger », raconte-elle. « On se sent soutenu par l’entreprise », poursuit-elle aussi. « C’est primordial », tranche Pascal Gallois. « Les RPS et le burn-out restent encore tabou. Identifier et présenter clairement des bienveilleurs est aussi une manière de sortir ces sujets du néant pour les entreprises, de montrer qu’elles ont conscience que ces sujets existent et qu’elles mettent en place des dispositifs pour les prévenir ou les accompagner », poursuit-il.
Dans la situation de travail bouleversée par la pandémie de Covid 19, le dispositif trouve tout son sens. « Les entreprises qui ont des bienveilleurs peuvent rappeler leur existence auprès de leur collaborateurs, ce qui peut aider à la prise en compte des difficultés particulières de la période », enjoint Pascal Gallois. Les managers doivent aussi savoir passer le relais et signaler à leur collègues-bienveilleurs des profils sensibles. « J’ai été interpellée par des personnes qui appréhendaient de revenir travailler après le confinement », raconte Bernadette Guillot, qui les a écoutés et orientés. « Je me suis sentie dans mon rôle », souligne-t-elle. Comme un ange-gardien qui veille sur ses collègues et les aide à s’entourer pour franchir un moment difficile de leur vie, en présentiel ou à distance.
Le profil type du bienveilleur (ci-contre Bernadette Guillot, bienveilleuse à La Poste)
- avoir un peu d’ancienneté (ou beaucoup) afin de connaître l’organisation et les personnes qui la composent ;
- être à l’écoute, avoir de l’empathie et savoir se tourner vers les autres ;
- ne pas rentrer trop vite dans l’émotion et prendre du recul par rapport aux autres, sans juger ni alimenter leur problématique.
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Crédit photo : Image created by Margaret To. Submitted for United Nations Global Call Out To Creatives – help stop the spread of COVID-19. Infos : https://unsplash.com/photos/ANcYI85YS58