Depuis un an et demi, Arnaud Depil-Duval chef du service des urgences de l’Hôpital d’Evreux, impose une sieste à tous ses soignants de garde. Si la mesure a été critiquée au départ, aujourd’hui les collaborateurs se sont habitués et les effets sont remarquables. Un vrai plaidoyer en faveur de la pause-sieste.
Vous avez imposé une sieste à tous les médecins des urgences d’Evreux, puis aux infirmiers, pendant leur temps de garde, pourquoi ?
Les médecins urgentistes sont obligés de travailler 24h d’affilée parce que l’on manque de personnel… c’est contre la physiologie humaine ! Je n’ai rien inventé, la sieste a toujours existé et des médecins la faisaient déjà. Je l’ai régulée car certains y consacraient plus de temps que d’autres ou, à l’inverse, faisaient 24h non-stop. On l’a donc imposée à tous. Et je tente aussi de leur apprendre à faire des siestes éclairs, de 10 minutes, avec des clés dans la main qui les réveillent quand elles tombent.
Comme cela se passe-t-il concrètement ? Vous avez un planning de siestes ?
Il y a un protocole, un planning et une salle. Je suis officier de réserve, et dans l’armée, il existe un guide du sommeil avec des protocoles pour récupérer du jet lag ou apprendre à faire des siestes de manière à maintenir une vigilance maximale malgré des rythmes de sommeil décalés : je me suis inspiré de cela. A l’hôpital, traditionnellement, il y a une chambre de garde mais le confort y est souvent spartiate ! A Evreux, quand je suis arrivé, il y avait des stores, mais pas occultant et un matelas de la taille d’un sandwich SNCF ! On l’a rénovée de manière à ce qu’elle soit confortable avec des coussins, une lampe tamisée, un réveil simulateur d’aube… Le planning prévoit une sieste d’une heure en journée entre 14h et 16h (30 à 40 minutes de sommeil suivi d’une phase de réveil) et une longue sieste de nuit (90 minutes) entre 2h et 5h du matin. Le médecin qui a pris sa garde en premier part en premier, et ainsi de suite. Il reste toujours un médecin la nuit et deux en journée, avec les internes qui assurent le service, sont bien réveillés et aptes à prendre des décisions. En cas d’arrivée d’un patient, on peut réveiller le médecin de sa sieste. Malgré la phase d’inertie qui suit le relâchement, il sera prêt à agir pour aider ses collègues.
Comment vos collaborateurs ont-ils réagi à la mise en place de cette sieste obligatoire ?
Super mal ! On a une culture doloriste : on considère que c’est une vocation, pas un métier, qu’on doit galérer pour réussir à l’école de médecine, puis galérer tout au long de sa carrière, qu’un soignant ne compte pas ses heures… Cette culture fait que l’on justifie tout : les patients qui s’énervent parce qu’ils ont mal, les soignants qui craquent… Au début, il fallait que j’envoie les médecins faire la sieste. Mais aujourd’hui, ils ont vu la différence, et y vont d’eux-mêmes. Pour les infirmiers, on a commencé le dispositif il y a six mois et on est à 50/50. Il va encore falloir un petit peu de temps.
Vous évoquez les effets de la sieste, la différence avant/après est-elle si positive ?
Il y a quelques années, un interne est mort en venant prendre sa garde, il s’est endormi au volant… Ce n’est pas normal de mourir de fatigue à 25 ans ! L’objectif n’est pas d’être sympa, mais d’être productif. Or, on est plus productif quand on est bien réveillé, reposé et que l’on ne ressent pas de douleur dans la nuque, de picotements dans les yeux… Je n’ai rien demandé à la direction car ils auraient surement refusé, mais aujourd’hui ils sont les premiers à approuver. On fait 60 000 entrées aux urgences par an, on n’a eu que trois cas qui ont donné lieu à des assurances. Le service des urgences est celui avec le plus faible taux d’absentéisme de tout l’hôpital, le nombre de plaintes et le temps d’attente dans le service ont été diminués. Un soignant plus reposé pourra voir plus de patients, et sera plus attentif, donc le risque d’erreur diminue.
Pourquoi êtes-vous si attaché au bien-être au travail, et d’où vous vient cet engagement ?
J’évoquais l’armée… Peu de gens le savent, mais le management y est beaucoup plus humain que dans la plupart des entreprises, car on ne manage pas des pions, mais des humains qui risquent parfois de se faire tuer. Il faut donc créer une vraie cohésion et une vraie envie d’être là. Le bien-être au travail ne passe pas que par la sieste bien sûr, on travaille aussi sur les plateaux repas, sur des journées de cohésion, sur la reconnaissance. Par exemple, j’envoie des mails de félicitation à des soignants qui ont bien travaillé, en mettant tout leur service en copie. La qualité de vie au travail est bien meilleure quand les gens travaillent ensemble. Or, sur la sieste, si certains allaient dormir sans culpabiliser pendant que d’autres ne se le permettaient pas, l’équité n’était pas respectée, et la cohésion de groupe ne pouvait pas se faire.
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