Loin des jolis discours lissés sur l’entreprise libérée, Mathieu Libessart, Directeur de Sthree SAS, entreprise spécialisée en recrutement, nous confie, en toute transparence, comment la filiale France opère sa transformation vers plus d’horizontalité. Fervent défenseur du travail collaboratif et de l’autonomie, il nous explique les coulisses de ce changement organisationnel d’envergure. Un long processus aux allures de marathon…
Pourquoi vous-êtes vous lancés dans ce projet d’entreprise libérée ?
D’abord, il y a eu l’arrivée de Claire Bonenfant, PDG de Sthree France en septembre 2018. Cela a été l’opportunité de mener une réflexion sur notre organisation française, avec l’ensemble des marques du groupe. Il y avait une volonté forte de nous “reconnecter” à notre raison d’être et à nos partenaires commerciaux afin de faire prendre conscience de notre impact sociétal.
Puis, deux fois par an, nous menons un e-NPS (employee Net promoter score) qui permet de capter les ressentis collaborateurs. Les résultats ont souligné un vrai sujet au niveau du management, taxé de micro-management et souffrant d’un manque de flexibilité. Nous voulions donc aller vers une organisation plus collaborative où chacun peut s’épanouir et s’impliquer. La filiale France, 130 collaborateurs, s’est positionnée au niveau du groupe comme “laboratoire d’expérimentation humain” pour imaginer un nouveau modèle.
Quelles sont vos grandes étapes au cours de ce changement ?
Il y a un an, nous partions d’une feuille blanche avec une structure organisée par marque et très verticale ! Nous nous sommes donc fait accompagner par des coachs externes spécialistes dans la libération des organisations.
- Nous avons commencé par mettre à plat l’organisation, notamment les parcours collaborateurs. Avant, le seul chemin d’évolution était de devenir manager. Il n’y avait aucune place pour le transversal ou l’expertise !
- Pour cela, avec les collaborateurs, nous avons listé neuf projets de réflexion transverses à l’organisation. Par exemple, un projet sur la manière de rétribuer, un autre sur la manière de développer les compétences, puis sur la collaboration commerciale ou encore l’impact sociétal de Sthree…. Puis, sur la base du volontariat, nous avons invité chacun des collaborateurs, quel que soit l’ancienneté ou le niveau hiérarchique, à rejoindre ces projets.
- Ces initiatives ont été lancées et pilotées par des leaders internes, et non des managers ! Ceux-ci sont responsables des jalons et des livrables à réaliser avec les neuf personnes participantes. C’est très important de montrer rapidement des concrétisations auprès de tous les salariés : c’est la stratégie des petits pas. Il est à noter que certains projets sont plus avancés que d’autres. Tout le monde avance à son rythme.
- Pour que cela prenne en interne, Claire Bonenfant s’est entourée d’une équipe solide de copilotage : des ambassadeurs ou “champions” présents sur le terrain. Tous ont été formés par les coachs agiles pour “cascader” les informations et accompagner le changement. Ils jouent aussi le rôle de relais afin de faire remonter les points “irritants” et d’y répondre rapidement.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Après plus d’un an, on est encore en pleine transition ! Aujourd’hui, deux systèmes cohabitent : l’ancienne organisation “verticale” mais avec moins de strates (nous en avons supprimé) et des projets plus autonomes. C’est une approche hybride qui tend, de plus en plus, vers du matriciel. C’est long… mais nous sommes convaincus que c’est ainsi qu’il faut travailler aujourd’hui.
Et, on ne se fixe pas d’objectifs ambitieux en termes de temps car c’est une erreur de poser une trajectoire trop rigide. Il existe, au sein de notre organisation, des projets qui sont plus avancés que d’autres et nous respectons cela ! Il faut s’inscrire dans un processus d’amélioration continue.
Et à mi-parcours, quels sont les challenges que vous avez rencontrés ? Des recommandations à transmettre ?
- Le temps : il faut trouver le bon tempo car si tu vas trop vite, on te reproche de bâcler. Si tu vas trop lentement, cela s’essouffle. Philippe Van del Bulke, expert en accompagnement du changement, parle du syndrome du marathon : même si nous allons vers le même but, il faut accepter les différents rythmes de chacun.
- La pédagogie : la clé est d’expliquer le “pourquoi” de cette transformation et démontrer des résultats concrets grâce à une communication continue. Je parle souvent d’une stratégie “d’infusion”: communiquer sans cesse par de multiples canaux.
- L’analyse d’impacts : malgré une solide communication, il y a, inévitablement, des effets humains collatéraux. Concrètement : il faut anticiper une vague de départs et des baisses de la performance transitoires à cause de la démotivation et du mécontentement de certains. Perdre un statut, changer le système de rémunération ou sortir de la logique de périmètre sont des révolutions culturelles pour un manager en France !
- La gestion des conflits : c’est le plus compliqué car les impacts émotionnels ne sont pas neutres sur la dynamique collective. Nous avons vécu des micro-révoltes en interne ! Il faut apprendre à les détecter et à y répondre dès le début du projet pour éviter les “fissures dans le bateau”.
- L’exemplarité : libérer son entreprise ne se décrète pas, il faut montrer l’exemple. Et cela passe par le “haut”. Par exemple, j’ai personnellement changé mon positionnement de directeur de la marque Progressive (depuis plus de quinze ans !) vers un rôle plus transverse. J’ai lâché mon statut et mon rôle de manager… et personne ne m’a remplacé ! Le but est d’installer un nouveau système de reconnaissance.
- L’espace : le lieu de travail est aussi très important. À Paris, nous déménageons de la Défense à un espace de coworking (Wework) en plein coeur de Paris. À Lille, nous sommes maintenant installés au sein d’un incubateur de start-up (Eura Technologies). Encore une fois, l’idée est de casser les silos et de s’ouvrir à d’autres écosystèmes.
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