Rêvasser, être dans la lune, laisser vagabonder ses pensées… Et si le « mind-wandering » était bénéfique au travail ? C’est ce que défend le professeur des universités en gestion des ressources humaines Franck Bietry. Cette dérive de l’attention apparaît comme une alternative bienvenue à l’ultra-concentration.
Dans vos travaux co-réalisés avec la doctorante Carine Bourdreux et le professeur des universités Jordane Creusier, vous cherchez à valoriser le « mind-wandering ». De quoi s’agit-il ?
Franck Bietry : Le « mind-wandering », en traduction littérale, est ce qu’on appelle l’ « errance de la pensée ». Le terme provient des neurosciences : ce sont des pensées qui viennent librement à l’esprit. Elles sont auto-générées, c’est-à-dire qu’elles surviennent sans déclencheur externe, et nous font nous détacher de ce que nous sommes en train de faire. Par exemple, un mail, c’est une distraction, pas du mind-wandering.
Le mind-wandering, ce n’est pas non plus une perte de l’attention, mais une dérive de l’attention. Nous pouvons en effet être très attentif à une pensée que nous avons générée, mais qui n’a rien à voir avec la tâche que nous devrions être en train d’accomplir. En fait, nous passons d’une idée à l’autre, sans vraiment de logique. C’est une pensée instable, qui peut être tournée vers le passé ou centrée sur le présent ou l’avenir.
Ce sujet est encore peu étudié par le secteur des sciences de gestion et du management : pourtant, nous en faisons tous régulièrement l’expérience !
Quels sont les effets du mind-wandering ?
Ils peuvent être négatifs comme positifs. Dans le premier cas, cela impacte la performance, la mémorisation ou les résolutions de problèmes. Cela peut aussi perturber l’attention que nous portons aux autres et les affecter… Mais le mind-wandering a également, donc, des effets positifs ! Déjà, il permet de restaurer des capacités intellectuelles personnelles : quand une tâche est très prenante ou exigeante intellectuellement, laisser son attention dériver permet de souffler. Cela permet d’échapper aux situations que nous estimons stressantes.
Le mind-wandering est aussi un bon moyen de planifier le travail à venir. Il favorise l’imagination de différents scenarios et les pensées créatives : il est ainsi bénéfique à l’innovation.
Comment définir la frontière entre les effets positifs et les effets négatifs ?
Si on est sur une évaluation court-termisme et pragmatique de la performance, on retiendra surtout les effets négatifs. En élargissant la définition de performance et en l’inscrivant dans un temps plus long, où l’imagination et la recherche d’innovation ont leur place, on tendra vers une vision positive. En somme, tout dépend de la définition qu’a chacun de la performance. Et cela dépend aussi, bien sûr, des postes de travail et des métiers. Un chirurgien ou un contrôleur aérien distraits risquent beaucoup plus d’un créatif en agence de publicité !
L’environnement de travail favorise-t-il le mind-wandering ?
Il y a trois grandes familles d’antécédents au mind-wandering. La première, ce sont les caractéristiques personnelles, car nous n’avons pas tous la même capacité à contrôler nos pensées. Certains ont une tendance naturelle à être dans la lune, d’autres une tendance à l’hyper-concentration. Il y a aussi des caractéristiques conjoncturelles : sommes-nous actuellement fatigués ? Ou de bonne humeur ? Ou dans un état de dysphorie, c’est-à-dire avec des soucis personnels, des préoccupations saillantes ? Et il faut également prendre le contexte de travail, en effet. Souvent, les caractéristiques de la tâche que nous devons réaliser ont un effet sur le mind-wandering. Par exemple, si la tâche en question est très répétitive et routinière, cela génèrera forcément un ennui au travail. Et cet ennui sera propice au mind-wandering. Mais si cette tâche est très complexe, très prenante intellectuellement, alors il y aura aussi une dérive de l’attention. Ne serait-ce que pour restaurer nos capacités cognitives. Le cerveau a besoin de souffler.
De même, comme indiqué précédemment, les situations stressantes favorisent le mind-wandering. Ce dernier devient alors une échappatoire pour le salarié qui veut fuir sa situation de travail… Les données statistiques indiquent clairement que la faible qualité du bien-être au travail est corrélée à une propension plus élevée des salariés à laisser leur esprit divaguer. Ceux qui éprouvent une grande satisfaction au travail ressentent moins le besoin de relâcher la pression en se laissant aller à la rêverie.
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