Comment faire passer ses messages à l’oral ? Selon l’interlocuteur que l’on a en face de soi, la démarche ne sera pas la même. Il faut en effet distinguer les esprits pragmatiques, qui se laisseront convaincre par les éléments factuels d’un message, des esprits plus émotionnels qui apprécieront davantage l’affect du propos. Explications avec le formateur-coach en prise de parole Emmanuel Chila, auteur de « Et si je parlais pour être vraiment compris ? » (éditions Eyrolles).
Pourquoi distinguer les pragmatiques des émotionnels ?
Emmanuel Chila : Il existe de nombreux outils qui permettent de quadriller les personnes pour obtenir une grille de lecture des différents profils. Si on veut simplifier la démarche, on peut définir deux grandes catégories : les personnes pragmatiques et les émotionnelles. Les premières ont besoin à tout prix d’avoir de l’information concrète. Elles poseront des questions de l’ordre du cartésien, de la structure, de la compréhension. Elles ont besoin d’éléments factuels voire de preuves. C’est l’inverse des émotionnels qui seront portées sur le ressenti, la créativité et l’expérience.
Cela ne signifie pas que chacun soit l’un et pas l’autre. On peut être un mélange des deux. Selon sa vie, selon le contexte, un profil ressortira davantage.
Comment, alors, savoir distinguer qui l’on a en face de soi ?
Souvent, nous délivrons notre message et nous nous disons que notre interlocuteur l’a forcément compris puisqu’il est clair pour nous-mêmes. Or, cela ne peut pas fonctionner ainsi. Si nous nous positionnons de notre côté et que nous oublions l’autre, nous commettons la plus grande erreur en termes de communication : nous n’avons pas adapté ce que nous voulions dire dans le langage de l’autre. Cela posera des problèmes de compréhension, d’interprétation et, souvent, des frustrations des deux côtés.
Aussi, il est nécessaire de prendre du recul : il est important d’être nous-mêmes à l’écoute de notre interlocuteur et de ce que nous voyons de lui. Nous serons attentifs aux questions qu’il nous posera : comment sont-elles orientées ? Sont-elles sur du ‘comment’, du ‘quoi’ ? Un interlocuteur qui est émotionnellement avec nous, sera davantage dans l’empathie. Il utilisera des expressions telles que « qu’est-ce que tu ressens ? » Il vivra l’histoire avec nous.
Quand nous nous adressons à quelqu’un, il faut prendre en compte aussi sa posture, son écoute. Il s’agit de s’arrêter sur le non-verbal : la personne est-elle avec nous dans sa posture ? Ou au contraire, ressent-on une forme d’impatience de la part de la personne ? Nous rechercherons ces détails dans le regard ou dans les mimiques du visage : la personne semble-t-elle contrariée ? Ou perplexe ? Avec le pragmatique, nous pouvons avoir l’impression qu’il ne nous écoute pas car il fera preuve d’une certaine distance. En fait, il attend la finalité de nos propos. Il a besoin de savoir pourquoi nous sommes en train de lui expliquer cela. Il a un rapport au temps différent.
Le problème étant, lorsque nous parlons, que nous nous concentrons sur ce que nous disons, pas sur ce que nous voyons.
Et s’il y a plusieurs interlocuteurs ?
Nous essaierons d’analyser plus rapidement… (rires). Face à un groupe, nous savons que nous n’arriverons pas à toucher tout le monde en même temps, car il y aura des personnalités différentes. C’est pour cela qu’à l’intérieur de notre discours, nous mélangerons des éléments de langage. Ainsi, des éléments émotionnels permettront d’engager certaines personnes, suivis d’éléments concrets pour « rattraper » les plus pragmatiques. Ces derniers, s’ils n’ont pas été touchés par le début du propos, seront intéressés par la manière dont sera mis en place tel ou tel nouveau processus, par exemple. Tout l’enjeu, pour l’orateur, c’est de savoir jouer avec les différents éléments pour parler à tous.
Pour qu’un message soit mémorisé efficacement, vous citez aussi 9 éléments. Cela doit-il aussi nourrir chaque message ?
En effet, pour qu’un message soit compris et transmis de manière efficace, il faut qu’il comporte un certain nombre de critères. Il est comme une flèche et nous sommes les archers : comment le message peut-il atteindre directement le centre de la cible ? Car il peut il y avoir des aléas qui ralentiront la portée de notre message et la force de notre flèche. Cette dernière s’appuiera sur le contexte, le sens, le ressenti, la qualité de l’information, la vulgarisation, la légitimité de la personne qui porte le message, les croyances, la conviction et l’utilité.
Beaucoup ont pris pour acquis que parler est quelque chose de naturel, ils oublient que cela peut se travailler comme n’importe quel sport ou compétence.
Mais selon vous, l’utilité du message reste, elle, secondaire ?
Nous sommes toujours convaincus que ce que nous racontons est utile. Mais qu’en est-il de notre interlocuteur ? C’est lui qui estimera l’utilité de notre message par rapport à sa situation. Pour rappel, il y a un principe simple : ce qui est intéressant pour nous ne l’est pas forcément pour l’autre. Il faut que la personne ait un intérêt à nous écouter. Ainsi, lorsque j’ai préparé mon message, est-ce que je l’ai préparé comme un problème pour l’autre ? Ou comme un bénéfice ? C’est uniquement dans le second cas que je parviendrai à capter son intérêt.
Et il faut croire en son message ! Souvent, des managers ne parviennent pas à faire en sorte que les équipes croient en leurs propos, car ils ne sont pas en accord avec ce qu’ils sont en train de raconter. Par exemple, lorsqu’il est question d’un projet, il faut le voir dans sa vision la plus lointaine : pourquoi le faisons-nous ? Comment le ferons-nous ? Et s’il y a un doute, il faut l’exprimer clairement à ses équipes : « J’ai un doute sur le projet, mais je sais que c’est la bonne direction. » Cela permet de garder le sens, tout en y ajoutant de l’authenticité et de l’humanité en partageant nos réserves sur le projet. Nous ne pouvons pas engager et convaincre sans être en accord avec nous-mêmes.
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