LDLC, l’un des spécialistes du e-commerce français, est passé en 2021 à la semaine de quatre jours. En 2022, la rédaction de My Happy Job était allée à la rencontre de son dirigeant pionnier, Laurent de la Clergerie. Selon lui, la mesure permet d’améliorer la motivation, l’ambiance et la performance. Un exemple réussi !
Le « bien-être au travail », qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?
Laurent de la Clergerie. C’est avoir envie de venir travailler. Avoir un cadre dans lequel on se sent bien et dans lequel on fait un travail qui nous plaît est important. Mais le bien-être au travail ne peut être atteint que si on est bien dans sa vie à côté.
Pour répondre à cela, vous êtes passés chez LDLC à la semaine de quatre jours en janvier 2021. Pourquoi et comment l’avez-vous mise en place ?
J’étais en quête de quelque chose pour que les gens se sentent bien et je suis tombé sur un article de Microsoft qui avait testé la semaine de quatre jours pendant un mois au Japon. J’ai réfléchi pendant deux jours en posant sur le papier ce qu’il se passerait et quel coût cela aurait pour l’entreprise si je le mettais en place. Pour moi, passer à 9h par jour était trop compliqué, notamment pour les salariés parents. Donc j’ai préféré 32 heures sur quatre jours. J’ai calculé un surcoût de 5 % de la masse salariale, avec une nécessité de faire quelques embauches, mais une économie le vendredi alors que seule la moitié de l’après-midi était vraiment efficace… Finalement j’en ai parlé à l’issue des NAO aux partenaires sociaux, qui ont réfléchi à l’accord et l’ont signé à l’unanimité.
“Cela me rend heureux de me dire qu’on peut changer une boîte avec les mêmes personnes”
Quels sont les bénéfices du passage à la semaine de quatre jours ?
Je ne m’attendais pas à autant de positif ! L’ambiance est incroyable, les gens ont le sourire et derrière cela crée une efficacité extraordinaire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2020, nous enregistrions 497 millions d’euros de chiffres d’affaires à 1060 et en 2022 nous réaliserons 730 millions d’euros à 1040. C’est ma surprise, je n’ai pas eu besoin de recruter car les collaborateurs sont plus efficaces. Je n’ai jamais demandé de faire le même travail en quatre jours, mais dans les faits les gens sont tellement reposés que la cadence augmente. Pour les salaires les plus bas, cette journée représente aussi une économie de déplacement, de frais de garde d’enfants… Certains salariés ont dit gagner 200 euros par mois grâce à ça. Et nous avons augmenté les salaires de 6 % en moyenne l’an dernier pour partager les bonnes performances.
Cela pourrait apporter une « relance par le temps libre » pour la société, dîtes-vous ?
En effet, je m’oppose aux économistes qui disent que passer à quatre jours travaillés va créer de l’emploi. Je constate dans mon entreprise que c’est faux. Je n’ai dû embaucher que dans les toutes petites boutiques. Par contre, tous ces gens qui auront trois jours de repos par semaine vont continuer à faire les courses et le ménage pendant un jour, à se reposer vraiment le dimanche, et il leur reste un jour, durant lequel ils peuvent vraiment profiter, faire du yoga, du sport, des activités de loisirs. Ce nouveau besoin, multiplié par des milliers de personnes, peut créer des emplois.
Comment gérez-vous la problématique de la déconnexion alors qu’avec trois jours de repos les collaborateurs peuvent être tentés de consulter davantage leurs mails ces jours-là ?
Il y a une règle : ne pas répondre aux mails ou au téléphone quand on ne travaille pas. Bien sûr, certains le font. Il y a des cas extrêmes, des cadres au forfait jours (dont le forfait a été revu à un forfait jour sans RTT pour passer à quatre jours sans perte de salaire, ndlr) qui travaillent 50 ou 60 heures/semaine. Certains me disent qu’ils répondent à leurs mails pendant leurs jours off, mais malgré tout, ce jour en plus devient tout de même un vrai jour off pour eux. On ne peut pas changer les gens, mais en ce qui me concerne, si j’envoie des mails le week-end, je les programme pour une réception le lundi matin. Le troisième jour de repos ôte surtout une pression et crée donc un meilleure équilibre.
“Mon but est d’embarquer d’autres entreprises à me suivre dans la semaine de quatre jours”
Vous prônez aussi depuis plusieurs années le management collaboratif, comment ça se passe ?
Nous étions déjà dans une boîte où le bien-être était important, c’est-à-dire pas de flicage, et pas de contrôle. Je répète tout le temps que le manager est un coach, pas un chef. À force de le dire, cela entre dans les mœurs, et le dire devant les salariés permet de forcer les managers à l’appliquer. La confiance et la bienveillance sont hyper importantes. J’ai perdu des managers au début à cause de cela. Mais, par exemple, le management collaboratif a été de laisser les services s’organiser comme ils le souhaitaient pour le passage aux quatre jours avec une seule consigne : fonctionner comme avant pour l’extérieur.
Trois coachs ont été aussi formés en interne afin d’accompagner les collaborateurs dans leur développement personnel. Qu’apportent-ils ?
Ce sont des personnes qui ont été formées depuis trois ans et sont devenues coachs à plein temps. Elles accompagnent les salariés quand ils ont besoin de travailler sur des compétences liées au travail : bien travailler en équipe, savoir prendre la parole en public, résoudre les conflits aussi car ils peuvent exister même dans les boîtes où ça va bien ! Nous les avons formées avec un objectif de développement personnel et de développement collectif.
Avez-vous des mesures pour évaluer ces aménagements ?
Je regrette de ne pas avoir fait de mesures de satisfaction avant pour prouver désormais que ça marche. La seule note que nous avons est celle du classement Great Place to Work, qui était déjà très bonne. J’attends la prochaine pour évaluer la progression. Mais en vrai, je n’ai pas vraiment besoin d’études et de mesures pour prouver que ça marche, car quand on parle aux salariés, ça saute au yeux. Cela me rend heureux de me dire qu’on peut changer une boîte avec les mêmes personnes. Il y a sept ans, nous avons connu une journée de grève, aujourd’hui quand je vois la fierté d’appartenance, tout cela a disparu… Quand on croit aux gens, ça marche !
Après la semaine de quatre jours, quelle est votre prochaine mesure en faveur du bien-être au travail ?
Il n’y en aura pas de prochaine tout de suite car mon but est d’embarquer d’autres entreprises à me suivre dans la semaine de quatre jours. Si je vais trop loin, trop vite, ça ne fonctionnera pas ! Je veux promouvoir la semaine de quatre jours et ça me prend la moitié de mon temps en total bénévolat – je travaille donc plus que quatre jours ! Ce que nous vivons est incroyable et c’est injuste que les autres ne le vivent pas. »
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Crédit photos : Véronique Védrenne